Diagnostic et premières leçons - I



2004


2.1 Bam, ville fantôme ?

Huit mois après le séisme, les multiples acteurs présents dans la phase d’urgence se sont retirés de la ville tandis que la phase de reconstruction est longue à se mettre en place. Bam semble bien caractéristique de cette zone grise qui flotte entre urgence et développement : oubliée, vidée d’une part de ses habitants, sans aucune activité économique, Bam a aujourd’hui l’aspect d’une ville fantôme.

Ceux qui l’ont pu ont quitté Bam pour se réfugier dans des villes alentours ; les autres restent sur les lieux de la catastrophe, dans l’attente. Certaines familles refusent d’occuper les abris temporaires en préfabriqués mis en place par le gouvernement. Elles demeurent sur leur ancien lieu d‘habitation, ce qui, selon le discours officiel retarde le déblayage des gravats. Ajoutons à cela la chaleur extrême et l’indifférence des médias qui ne couvrent plus la région : une certaine aboulie semble s’être emparée des autorités iraniennes et des ONG internationales, peu visibles sur Bam.

L’approvisionnement en eau et en nourriture reste assuré en continu : l’adduction en eau est rétablie à certains points de la ville et les distributions de nourriture sont assurées par le Croissant Rouge iranien et le comité de l’Imam Khomenei. Les populations demeurent donc dans une situation de dépendance, puisque aucune reprise de l’activité économique sensible n’a vu le jour.

Les difficultés et les blocages actuels à Bam résultent d’un ensemble de facteurs. Ils illustrent d’abord l’absence de cohérence et de continuité entre les actions menées, absence qui génère des tensions au sein de la population. Le temps de l’urgence s’est caractérisé par un manque de coordination et de lisibilité des actions de terrain. Puis, une fois l’urgence passée, l’aide internationale massive s’est arrêtée, conformément à son mandat, mais le relais a mal été assuré. Les populations affectées sont donc aujourd’hui dans la confusion ; informer et tenter d’impliquer les populations dans les projets mis en place sur le terrain reste fondamental pour leur permettre par la suite de prendre charge leur reconstruction.

  • Coordination :

Les constats liés à la situation actuelle à Bam permettent de diagnostiquer un manque important en matière de coordination entre les différents acteurs. La difficulté à dialoguer avec les instances officielles a déjà été mentionnée comme une entrave majeure mais au-delà, les acteurs non gouvernementaux ont à fournir un effort de prise en compte des initiatives existantes.
Des actions complémentaires et coordonnées peuvent permettre de répondre de manière plus pertinente aux besoins réels des populations affectées. Le manque d’une coordination centrale nourrit des problèmes de gaspillage des ressources, d’actions dupliquées, d’inégalité des bénéficiaires devant l’aide apportée, d’injustices, eux-même générateurs de sentiments de frustration et de tensions sociales.

Les apartés humanitaires ne sont plus d’actualité ; elles ont démontré leurs incohérences et leurs failles. Il faut faire en sorte -de manière active- que ne soient plus balayés les acquis d’une crise à l’autre.

  • Droit à l’information :

Le bilan sur la situation à Bam huit mois après le séisme reste incomplet malgré les recherches effectuées et les contacts mobilisés. Le cas de la ville de Baravat est particulièrement parlant ; cette ville de l’agglomération de Bam a été gravement touchée par le séisme mais aucune information n’est disponible quant à l’ampleur des dommages ni quant aux processus d’aide aux populations sinistrées.

La difficulté à recouper des informations complètes, fiables et qui ne soient pas contradictoires met en lumière les manques fréquents en matière de diffusion de l’information autour des réponses apportées à certaines crises, que ce soit à court ou à long terme. On connaît l’impact de cette opacité sur les interventions de solidarité, notamment celles venues de l’extérieur du pays. Ce qui est compréhensible dans les situations d’urgence, où les priorités et les impératifs font passer le travail d’information au second plan, l’est beaucoup moins une fois la phase d’urgence passée. Le manque d’information pénalise l’ensemble des acteurs, que ce soir les bailleurs, les bénéficiaires usagers ou les ONG désireuses d’intervenir.

D’autre part, la difficulté d’obtenir de l’information sur la reconstruction à Bam pose la question du droit des victimes à l’information. Il est normal et essentiel que les populations sinistrées puissent avoir un accès effectif aux informations concernant leur propre devenir. L’incertitude totale dans laquelle sont souvent plongées les populations victimes de crise grave est un poids psychologique supplémentaire à supporter, qui nourrit le sentiment d’isolement et d’abandon. D’autre part, le manque d’information dont disposent les victimes laisse présager du faible degré de consultation et de participation de ces populations sinistrées quant aux projets qui les concernent.

  • Prise en compte de la population :

Dans la phase d’urgence, plusieurs observateurs ont constaté le mécontentement des bénéficiaires envers le travail des Ong internationales. Visiblement, ces Ong n’ont pas été assez soucieuses de la perception des bénéficiaires et de la population locale en général. Les populations n’ont pas été informées ni même consultées ; c’est là un trait classique des opérations humanitaires d’urgence qui tendent à considérer le bénéficiaire comme une victime passive et muette. Si des approches participatives sont difficiles à mettre en œuvre dans des situations d’urgence critique, informer les populations bénéficiaires et tenter une consultation minimale permet d’éviter certaines tensions liées à la distribution de l’aide.

Une fois la phase d’urgence passée, en matière de respect des populations, un projet sera d’autant pertinent qu’il intégrera la population bénéficiaire comme population actrice de développement, et en l’occurrence de reconstruction. L’élément participatif peut sembler évident lorsque l’on intervient dans le domaine de la reconstruction ; il doit être la base de tout projet de reconstruction, surtout dans un cas comme l’Iran où la crise est prévisible et récurrente. Il est primordial d’utiliser l’expertise des personnes disponibles sur place et de connaître les habitudes de construction des populations locales pour essayer d’y intégrer des modifications salutaires.

Une bonne connaissance du cadre de vie traditionnel est également nécessaire pour proposer un habitat adapté qui respecte les coutumes locales et satisfasse les populations bénéficiaires.

Ainsi, à Bam, les habitants pourraient difficilement concevoir des maisons dépourvues de jardin ou de cours, tout comme ils n’envisagent que des maisons individuelles. Il conviendrait également de considérer la structure urbaine prévalant à Bam avant le séisme : la reconstruction pourrait s’appuyer sur les réseaux de voisinages existant à un niveau micro, du point de vue de la reconstruction physique et spatiale (structurée autour de petits quartiers, les mahalleh), que du point de vue participatif (mobiliser de petits groupes de voisins autour de valeurs communes pour la reconstruction).

Diagnostic et premières leçons - II





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