Diagnostic et premières leçons - V



2004


3.3 Recommandations sur la programmation des projets en zone grise

  • La notion de partenariat :

Dans des situations post crise, les interventions comprenant une vision long terme ont souvent des difficultés à s’insérer dans le paysage local, soit que la crise a déstructuré le processus de décision et de responsabilité, soit que celui-ci se caractérise par une certaine opacité, qui, si elle s’efface pour laisser une certaine marge de manœuvre aux interventions d’urgence, se renforce dès cette phase achevée. On le voit bien dans le cas de Bam, où seules des Ong qui ont pu s’appuyer sur un partenaire local préexistant à la crise ou bénéficier d’une structure en réseau (Caritas, la Croix Rouge), ont été en mesure d’intervenir sur des projets long terme (de reconstruction ou de renforcement des capacités).

Les réflexions sur le cadre bâti en phase de post urgence initiées depuis plusieurs années aboutissent à la prise en compte des notions de durable et d’approprié. Or, l’intervention dans un contexte de post urgence, si l’on a pour objectif le respect de ces deux critères, passe nécessairement par une démarche partenariale. En effet, l’étanchéité de certains projets d’urgence, si elle est souvent justifiée par des impératifs de rapidité et de priorité, n’est plus pensable dès que l’on souhaite inscrire un projet dans un processus durable. On l’a dit, une réponse qui se veut appropriée dans un cas comme celui de Bam (renforcer les capacités des populations locales à résister à la crise) se base nécessairement sur une approche participative, notamment au travers de formations ou d’une démarche d’autoconstruction (utilisation de l’expertise locale des populations par ces populations pour leur propre reconstruction.)
Or, une réponse de ce type ne peut se passer de l’appui et des ressources (humaines, culturelles,...) d’un partenaire local. Sans partenaire soutien, la formation de la population peut, à titre d’exemple, se heurter à un blocage culturel qui enraye le processus de transfert de compétences et ne pas « prendre. » De la même manière, on connaît les difficultés liées aux programmes de soutien psychologique dans des contextes où les différences culturelles très marquées ajoutées au barrage de la langue créent un fossé entre le praticien psychologue occidental et le patient auquel il s’adresse. Dans ce type de crise, contexte d’intervention privilégié des ONG urgentistes comme Médecins du Monde ou Médecins Sans Frontières, ce type de difficultés est habituel. Se pose ici la question de la préparation des ONG à ce type de crise et de la qualité des interventions de solidarité internationale.

Ayant connaissance des obstacles qui diminuent l’efficacité des actions sur le terrain, il semblerait pertinent, en tant qu’organisation de solidarité internationale, de remettre en cause nos pratiques professionnelles et de créer des mécanismes d’amélioration de ces pratiques. Ainsi, établir des relais locaux qui seraient immédiatement mobilisables, dans l’urgence (une équipe de psychologues locaux par exemple ou une structure locale capable d’identifier et de mobiliser des praticiens locaux) à la prochaine catastrophe de ce type permettrait d’apporter une réponse plus efficace.

D’autre part, ce type d’intervention souligne l’importance de prendre en compte la place de l’habitat dès la phase d’urgence. Dès qu’un accompagnement psychologique des victimes est mis en place, on constate l’importance du lien entre la reconstruction morale des populations et la reconstruction physique. Le rapport au bâti de ces populations victimes d’un séisme est très fort ; on le voit à Bam, leur attachement aux ruines est palpable et influe sur toute initiative de reconstruction. Il convient donc que les acteurs qui prennent en charge l’aide psychologique aux populations interpellent, dès la phase d’urgence, les acteurs pouvant travailler autour du bâti pour leur signifier l’importance du cadre bâti, du lieu et du type de reconstruction dans le processus de reconstruction psychologique de ces populations (notamment, comment effectuer un travail de deuil face à la disparition d’un cadre bâti, lieu de vie, de souvenirs, et d’attachement.)

On rejoint là un autre point essentiel mis en lumière par la catastrophe de Bam : l’anticipation. De plus en plus, des réflexions émergent pour mettre en avant l’importance d’anticiper ce type de crises finalement prévisibles pour pouvoir intervenir d’une manière pertinente. On l’a vu pour Bam, l’identification de partenaires locaux peut être extrêmement difficile dans une situation de crise et prendre énormément de temps. Les ONG ne devraient-elles pas pré-identifier des partenaires, effectuer un travail en amont afin d’être capables d’intervenir sur des projets viables, appropriés et durables ?

  • Identification des projets :

Cela amène à poser la question du choix du terrain d’intervention : comment la décision d’intervenir est-elle prise ? Les ONG intervenant dans un contexte de post urgence identifient généralement un projet suite à l’appel d’un partenaire local ou d’une structure locale ; cela permet à ces structures de garantir une certaine viabilité du projet ainsi identifié puisqu’elles sont sûres d’avoir un relais et un ancrage local, auprès des populations bénéficiaires.
Cependant, se limiter à ce type d’approche basée sur le partenariat peut devenir restrictif. Ainsi, certaines régions en crise notamment dans les cas d’un conflit chronique, et dont la société civile est totalement déstructurée, voire quasi-inexistante, risquent de tomber dans le registre des crises oubliées. D’où la nécessité de travailler en amont pour identifier et soutenir des énergies locales dans les pays où les crises sont prévisibles. Renforcer les sociétés civiles des pays du sud est le préalable nécessaire à l’élaboration d’une démarche de partenariat et à la conception de projets durables et appropriés.

  • La crise envisagée comme un facteur de changement :

Une crise peut être perçue comme facteur de changement ; à ce titre une crise telle que celle de Bam devrait pouvoir permettre à a population iranienne de mettre en place des mécanismes de prévention et de minimiser les dégâts causés par un tel évènement sismique, qui appartient à une liste déjà lourde en l’espace de 40 ans :

  • En 1962 à Qavzin près de Téhéran un séisme de magnitude 7 a fait 12 200 morts
  • En 1978 à Tabas un séisme de magnitude 7.7 a fait 15 000 morts
  • En 1981 un autre a causé la mort de 5700 personnes
    En 1990 à Roudbar le nombre de morts s’est élevé à 40 000 morts
  • En 1997 à Boinzahra 1 600 personnes ont péri.

Dans les pays où le risque sismique élevé et la fragilité des constructions entraînent des victimes en grand nombre de manière systématique et massive, l’analyse des besoins, et de leur origine, conduit à poser la question de la préparation au désastre et de la vulnérabilité de ces populations face à un événement sismique de cette ampleur. Plutôt que de reconstruire matériellement, il s’agit, dès lors que l’on veut apporter une réponse durable et efficace, de renforcer les capacités de gestion de la crise de la population et des autorités locales, mais au delà, de préparer l’habitat et les populations à ce type d’événement et de réduire leur vulnérabilité en renforçant les ouvrages existants.

Or, des maisons hyper résistantes pourraient être construites « clés en main », sans pour autant atteindre l’objectif de résistance d’une population et d’une société face au risque sismique. Les populations devraient pouvoir être en mesure de construire un habitat résistant. Des projets misant sur l’auto reconstruction et comprenant un volet formation permettraient concrètement d’assurer un renforcement des compétences au niveau local. Diffuser l’expertise technique en matière parasismique directement auprès des acteurs quotidiens de la reconstruction et sensibiliser la population à l’importance de mettre en pratique des techniques parasismiques simples et efficaces semblent être des actions particulièrement pertinentes dans des cas de reconstruction suite à une catastrophe comme celle de Bam, dans des pays à fort risque sismique.
[ A ce sujet, les projets de reconstruction mis en œuvre dans la région de Bam par Caritas Suisse (notamment) sont particulièrement soucieux de ces problématiques : cf document de projet ]

Mais l’Iran n’est pas un pays faible en compétences de ce type : les bibliothèques sont pleines d’ouvrages concernant la construction parasismique. Depuis 1989, l’Iran a mis en place un code parasismique exigeant qui doit être respecté pour chaque construction. On trouve à Téhéran les ingénieurs les plus compétents de la région et des centres d’études à l’avant garde en matière parasismique. Les rapports exhaustifs produits par les professionnels iraniens membres de l’International Institute of Earthquake Engineering and Seismology (IIEES), basé à Téhéran participent à ce travail de capitalisation de l’expérience en matière parasismique.

Là où le bas blesse en Iran, c’est que la compétence des ouvriers qui participent directement à la mise en œuvre des matériaux n’est pas toujours au rendez-vous et ne suffit pas à fiabiliser les structures quelles soient en béton armé en métal ou en maçonnerie. L’Iran d’aujourd’hui souffre d’un manque d’ouvriers qualifiés dans la construction et possédant une conscience professionnelle indispensable pour atteindre une qualité minimale attendue. Ajoutons à cela un manque flagrant de chef de chantier et de conducteurs de travaux qui sont sensés connaître parfaitement les normes parasismiques et celles du bâtiment.

Les défauts relevés sur les bâtiments en ruine prouvent que ces lacunes sont responsables de la majorité des effondrements dans les constructions modernes. Sans ces compétences et sans un contrôle omniprésent la reconstruction ne pourra s’effectuer dans de bonnes conditions.

En outre, la formation des architectes à la conception parasismique ne semble pas être suffisamment développée en Iran.

La performance du comportement dynamique d’une construction face à une secousse sismique passe par le respect de quatre règles de base :

  • Bon choix du terrain et fondations adaptées.
  • Bonne conception architecturale respectant les critères basiques (régularité, rigidité, forme, joints etc.)
  • Respect de la réglementation parasismique.
  • Bonne mise en œuvre des matériaux en respectant les dispositions constructives parasismiques.

Conclusion





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