Propriétaires & métayers

Les régions dans lesquelles nous intervenons connaissent une forme de métayage qui pèse sur le processus de reconstruction. En effet, à qui, du propriétaire ou du métayer/locataire, incombe la reconstruction ?



2007
 Laurent Demarta

Le métayage permettait autrefois aux propriétaires terriens de nos pays de louer la terre à des exploitants contre une partie de la production, étymologiquement la moitié. Le bail était souvent à vie, mais pouvait au contraire être annuel. Le terme existe encore en exploitation agricole contemporaine, mais la réalité est plus proche d’une location de terre (monnayée) que d’un partage du fruit.

Le métayage a encore largement cours au Pakistan, en particulier dans l’Union Council de Tarand (où nous intervenons) où une écrasante majorité de la population est paysanne sur des terres que possèdent quelques grands "Khans" (seigneurs).

Le terme de "seigneur" n’est pas anodin car la forme que revêt ce métayage n’est pas sans parenté avec le servage qu’a pu connaître l’Europe. Les Khans "possèdent" des métayers presque comme les seigneurs Russes du temps de Gogol possédaient des "âmes". Toutefois, il ne faut pas se laisser emporter par le vocabulaire : les métayers du Pakistan ne sont pas des serfs. D’un côté, ils sont très soumis à leur propriétaire, au point par exemple de lui demander l’autorisation de suivre nos trainings. D’un autre côté, ils n’y sont pas indissolublement attachés, et ils peuvent déménager - à leur risque...

Ainsi, métayer ne possède pas la maison dans laquelle il vit : c’est le propriétaire, le Khan, qui en a la propriété, comme il possède la terre sur laquelle elle est érigée.

C’est là que la problématique du métayage touche celle de la reconstruction suite au tremblement de terre. En effet, l’usager - le métayer - ne possède pas sa maison et même s’il avait les moyens de la reconstruire ou l’améliorer, il aurait tendance à s’en abstenir (car il ne possèdera pas le fruit de ce travail). Quant au propriétaire, il n’a pas d’engagement explicite envers ses métayers de leur fournir un logement. S’il est "propriétaire" de nombreux métayers, leur (re)construire à chacun une maison peut aisément excéder ses moyens !

Le compromis idéal qui est parfois atteint est un accord où le propriétaire finance la construction (matériaux), et le métayer fournit le travail nécessaire (main-d’œuvre).

Enfin, reste la question de l’indemnisation par ERRA (l’autorité officielle de reconstruction & réhabilitation née du tremblement de terre de 2005). En effet, l’argent proposé par ERRA est sensé financer le surcoût de la "parasismisation" des maisons. À ce titre, l’argent devrait être touché par celui qui reconstruit, que ce soit le propriétaire ou le métayer. La théorie d’ERRA veut donc qu’un accord soit signé entre le propriétaire et le métayer afin que si ce dernier travaille à la (re)construction de la maison qu’il habite, il puisse toucher l’argent (bien qu’il ne soit pas propriétaire). Dans l’autre sens, ERRA a théoriquement limité ses indemnisations à une seule maison par famille. En théorie, un Khan ne peut donc toucher de l’argent que pour sa propre maison, et aider ses métayer à en toucher pour les leurs.

Dans la pratique hélas, les propriétaires ont suffisamment d’ascendant sur leurs métayers pour rafler la totalité de la mise, dont - dans le meilleur des cas - ils reversent une partie au métayer pour financer sa collaboration.

La situation réelle est donc la suivante : les propriétaires ont reçu des sommes parfois énormes (qui peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros pour les plus gros propriétaires) pour financer des constructions dont ils se désintéressent. Pendant ce temps, nous essayons d’enseigner le parasismique à des pauvres bougres qui n’ont pas les moyens de reconstruire, et quand bien même l’auraient-ils préfèrent s’abstenir de bien faire afin de ne pas favoriser leur propriétaire...

Ainsi, on ne peut pas dire que ces situations de métayage nous simplifient la tâche au quotidien.