Le décompte des victimes en Indonésie n’est pas terminé, mais déjà il
dépasse les 100 000 personnes, majoritairement sur le côté ouest de
l’archipel. On est encore à recenser les victimes et à aider les
survivants, dans des conditions presque surréalistes. Mais de plus, tout le monde le prédit, il faudra des mois pour reconstruire la province de Aceh où sévit depuis plusieurs années un violent conflit.
Aceh au centre du désastre
L’épicentre du tremblement de terre a été localisé au large de cette
province occidentale de l’archipel indonésien, dans l’île de Sumatra. Le tsunami qui a frappé peu après a dévasté la région qui compte plus de cinq millions d’habitants. C’est une région déjà très pauvre, un paradoxe puisque c’est ici que les ressources pétrolières de l’Indonésie abondent.
Peut-être en partie à cause de cela, Aceh est le théâtre depuis plusieurs années d’un violent conflit. Depuis mai 2003, 50 000 soldats y sont stationnés en permanence. Un mouvement rebelle, le GAM, dispose d’appuis substantiels dans la population bien que ses méthodes et ses revendications séparatistes ne soient pas acceptées par tout le monde.
Mais à cause du comportement de l’armée indonésienne, bien peu de gens sont confiants dans leur gouvernement. Tout cela complique beaucoup lagestion de l’aide d’urgence.
La catastrophe
Pourtant, les besoins sont immenses. La capitale de Aceh, Banda (400 000 habitants), a été dévastée et dans les décombres des maisons détruites de nombreux corps n’ont pas encore été exhumés. Meulaboh, la deuxième ville de la région, a été pratiquement détruite. Très peu d’agences humanitaires y sont établies et la situation selon les médias australiens y est dramatique. Plus de 20 000 des 40 000 résidents ont été tués. Selon le commandant en chef des forces militaires, le général Endang Suwarya, 75% des agglomérations de la côte d’ouest de Sumatra (5 millions d’habitants) ont été détruites.
L’aide sous surveillance
Dans le contexte de l’état d’urgence proclamé en 2003, les militaires
exercent le pouvoir dans cette province. Ils sont régulièrement accusés par les organismes de défense des droits humains de sévères violations des droits humains. De nombreux civils, au moins 1000 durant l’année passée, ont été tués dans des affrontements obscurs, où le comportement de l’armée est généralement de tirer d’abord et de poser des questions ensuite. Même dans le contexte de la catastrophe actuelle, l’armée maintient le cap.
Selon le New York Times, la priorité des militaires est la « protection du territoire ». Des avions affrétés par des agences humanitaires pour faire le constat des destructions ont été forcés d’attendre des autorisations incertaines. Bien que la direction du GAM (localisée en Suède) ait déclaré la cessation de ses opérations militaires pour se concentrer à l’aide d’urgence, le gouvernement indonésien a refusé de proclamer un arrêt des combats.
Inquiétudes
L’Indonésie a connu plusieurs catastrophes naturelles, mais aussi des
cataclysmes politiques comme le massacre de 1966 (lorsque l’armée s’était emparée de l’État) et celui de 1976 perpétré contre la population du Timor oriental. Le pouvoir militaire s’est partiellement effacé en 1998, mais depuis, les gouvernements élus savent que le pouvoir des chefs de l’armée reste omniprésent. Dans les régions conflictuelles comme Aceh (il y aussi Sulewezi, les Moluques, West Papua), c’est l’armée qui s’impose contre l’administration civile. Cette situation s’est reproduite dans un contexte où les Etats-Unis et les principaux pays occidentaux ont toujours appuyé les militaires. Même le Canada ne s’est pas gêné de se faire le défenseur de la dictature, comme en 1998 lorsque la gendarmerie royale avait reçu l’ordre de matraquer des manifestants pacifiques lors du passage du dictateur Suharto à Vancouver.
Aujourd’hui, le drame continue et la population de Aceh a peur. Le président récemment élu, Susilo Bambang Yudhoyono, est lui-même un ancien général, qui a commandé des opérations dites « anti-insurrectionnelles » dans les zones de conflits, ce qui n’est
pas rassurant. Il a quand même promis de reconstruire la région avec un fonds d’urgence de $1 milliard de dollars. L’opinion internationale aurait intérêt à rester vigilante.