
Milan est la capitale économique de l’Italie. C’est ici que les grandes entreprises italiennes ont leurs sièges et c’est dans cette région qu’est produit la majorité du PIB de l’Italie.Cette condition a été crée grâce au travail de milliers d’immigrés, italiens et étrangers, qui depuis les années cinquante se sont installés à Milan en lui donnant la valeur de capitale. L’immigration est à Milan ce que le tourisme est à Florence, une condition essentielle, une caractéristique vitale de la ville. Aujourd’hui les milanais ont presque tous des origines méridionales et ouvrières mais on ne peut plus parler comme avant de grande ville industrielle et ouvrière, ouverte et prête à accueillir le nouvel arrivé. Les changements économiques mondiaux et les mutations de l’économie locale milanaise ont changée fortement les données traditionnelles. Actuellement les migrations des siciliens, calabrais ou napolitains n’ont pas disparu, mais en changeant de nature elles ne représentent plus ce grand phénomène de masse. La place laissée vide par ces anciens ouvriers est occupée aujourd’hui par des migrants étrangers de nationalités diverses. Contrairement aux années soixante ces migrations ne sont plus absorbées par la ville et représente pour Milan un véritable échec historique ; ce fait nouveau contraste avec le passé de cette ville où le pari de l’intégration et la capacité d’insertion des nouveaux arrivants ont été toujours des points de force. Aujourd’hui on assiste à un phénomène de plus en plus diffus d’émargination urbaine et d’une incapacité évidente à répondre à une demande urgente de logement. On vit le paradoxe d’une ville attractive pour l’offre de travail mais inaccessible pour y trouver un logement. La situation est vraiment critique, on ne parle plus seulement de migrants étrangers exclus mais aussi d’étudiants ou de travailleurs précaires qui n’arrivent pas à trouver un logement en location. Le problème est dû à de nombreux facteurs historiques, sociaux et économiques, mais en tout cas la ville aujourd’hui n’arrive pas à se donner des moyens et des outils valables pour faire face à l’urgence. Milan, à cause de son marché immobilier restrictif, est une ville qui n’est pas « vécue » physiquement bien qu’elle soit « utilisée » par des milliers de gens qui chaque jour peuvent faire des centaines de kilomètres pour rentrer chez eux. J’ai vérifié avec mon expérience personnelle cette affirmation en ne trouvant pas au sein de la ville un logement économiquement accessible ; cela a été plus facile en revanche lorsque j’ai étendue ma recherche à la périphérie y trouvant finalement un toit après un mois de recherche active et épuisante. Cela en ayant des papiers, des garanties formelles et n’étant pas touché par un racisme quelconque. C’est dans ce contexte qu’un grand nombre de bidonvilles et d’habitats informels ont envahi l’espace urbain milanais.

Les migrants, avec ou sans papier, ont la possibilité de travailler, souvent au noir, mais leurs ressources ne leur permettent pas d’accéder au marché du logement. En Italie il n’existe pas de système d’aide sociale comparable à celui français, le RMI ou les allocations familiales. A côté de cela, la ville de Milan n’offre presque pas de services d’accueil directs ou indirects ; il n’y a pas d’hôtels meublés ou de foyers, et en raison du fait que l’immigration est beaucoup plus récente qu’en France, le réseau de solidarité des communautés immigrées n’est pas aussi développé et structuré de façon à assurer un premier soutien au nouvel immigré. Dans un tel contexte, il est facile de comprendre combien à Milan l’urgence d’habitations pour les migrants est très frappante et visible. Cette situation sociale en Italie est appelée « Quarto Mondo » pour définir l’ensemble de la pauvreté et d’exclusion à l’intérieur des villes occidentales du nord du monde. Pour ce qui concerne la ville de Milan le collectif de recherche « Multiplicity » a réalisé une étude sur l’explosion de ce phénomène dans la ville italienne et il est très intéressant de constater comment même en plein centre on peut se trouver face à des situations d’émargination et de précarité gravissimes. Dans le cadre du programme européen contre l’exclusion urbaine, ma présence ici au sein de l’association « Architetti senza frontiere Milano » a comme but la définition de stratégies d’intervention pour assurer un premier accueil aux populations immigrées qui vivent actuellement dans des bidonvilles ou dans des habitats informels. Le programme de travail adopté a été rédigé de façon à travailler en réseau avec d’autres associations présentes sur le territoire et qui, par leur expérience dans d’autres domaines d’intervention, nous permettent d’arriver dans des endroits ciblés et d’atteindre des populations exclues. C’est le cas par exemple de « Naga », une association de médecins que depuis des années fait un travail d’assistance sur le terrain pour les familles qui habitent dans des bidonvilles ou de « Opera Nomadi » qui a un contact direct avec les roms et tziganes de la région. Le travail sera structuré autour de trois cas généraux : urgence, court terme et permanence définitive. Les difficultés que j’ai rencontrées jusqu’à maintenant sont dues au travail en collaboration avec les institutions locales, et à la visibilité qui est donnée à des gens qui vivent illégalement sur le territoire, (donc obligées a se cacher). En même temps, le travail commencé ce mois-ci à« la stecca degli artigiani » a fait déjà ressortir des questions très délicates. Comment pouvoir interagir dans des situations extrêmes d’exclusion en se retrouvant obligé de casser des petits équilibres fragiles de coexistences entre la recherche d’un toit décent, l’exploitation de la prostitution et des petits mafias locales sans avoir forcement une solution immédiate et sans faire recours à l’aide de la force publique de façon à prévenir les plus faibles et les sans papiers ?