Mais si, concrètement, cette « durabilité » est assez souvent douteuse, deux autres principes pour le centre de l’agglomération londonienne sont promus avec force : mixité urbaine et densification. Pour les habitants d’Elephant and Castle, ce n’est pas une bonne nouvelle.
La publication par l’Etat central, l’année dernière, d’un nouveau Planning and Compulsory Purchase Act, a ajouté à l’activité déjà importante des autorités locales en matière d’élaboration de documents de planification stratégique, spatiaux comme sectoriels. Dans la foulée de ce texte, qui en définit l’économie générale, et du récent London Plan, le Plan Local d’Urbanisme de l’agglomération publié début 2004 et avec lequel les boroughs doivent être en conformité, la ville connaît une frénésie de schémas, projets, pré-projets, révisions et autres documents de consultation.
Vue du nouveau quartier d’Elephant and Castle
A Elephant and Castle, dans le borough de Southwark, cela se traduit par un projet de redéveloppement dont les conséquences pour les habitants risquent d’être lourdes. Le quartier se caractérise déjà par une grande mixité. Mais il s’agit d’une mixité ethnique, avec d’importantes minorités, plus que d’une mixité des revenus. Or Elephant and Castle se situe non loin du cœur économique de Londres et dispose d’une bonne desserte en transports. Défini Opportunity Area par le Plan de Londres, il se doit d’être à la pointe de la densification résidentielle et professionnelle. Les possibilités de profits y sont de toute évidence importantes.
C’est pourquoi, en plus du traditionnel réaménagement des espaces publics au profit des piétons et des transports en commun, dont le nouveau tramway, un grand nombre de logements sociaux, les 1100 appartements de Heygate Estate, vont être détruits. Sur le même espace, quelques 4000 logements vont être construits. Le centre commercial qui héberge, dans et autour, une quantité de petits commerçants, souvent appartenant aux minorités ethniques, délivre des services spécifiques à la population locale. Lui aussi sera rasé.
Le centre commercial rose d’Elephant and Castle
Le résultat du projet, s’il apparaît séduisant - comme souvent ! - sur les maquettes et les dessins, va affecter gravement la population actuelle, en particulier les groupes les plus défavorisés : deux grandes tours, une nouvelle rue commerçante dont les loyers ne permettront pas aux commerçants actuels de revenir, une importante part d’espaces de bureau, alors que des milliers de m² sont vides plus à l’est autour de Canary Wharf, et une réduction drastique des logements sociaux.
Le relogement des résidents de Heygate Estate se fera sur d’autres sites - contestés - à construire en périphérie du quartier ou même ailleurs dans le borough, mais pas ou peu sur site. Là, 4200 unités supplémentaires sont prévues : il faut augmenter la densité du site. Il est fort probable que cela se traduise, d’une manière générale, malgré l’accroissement du nombre d’étages, par une perte de superficie. La moitié des ces logements devront être « abordables », notion à la mode dans les plans de développement à Londres. Mais la définition en reste floue. Elle recouvre le logement social et le logement dit intermédiaire, qui ne sera pas accessible dans les faits à une grande partie de la population du quartier. Le conseil municipal reconnaît pourtant, dans un de ces documents officiels, qu’il existe un déficit important de logement social ! Pire, un autre papier précise que ce déficit ne pourra pas - et ne sera pas - résorbé dans les dix années à venir.
Un des batiments de Heygate Estate
Le logement à Elephant and Castle, même « abordable », risque de modifier totalement la démographie du quartier, au profit des classe les plus aisées, malgré les besoins avérés. Pourquoi ? Au nom de la mixité ! Les responsables politiques arguent du fait que la proportion de logements sociaux à Southwark, et en particulier à Elephant and Castle, est largement supérieure à la moyenne londonienne ... Traduction : il faut déplacer les populations les plus pauvres et tirer le bénéfice maximum du formidable potentiel que représente le quartier ... Ainsi, alors que la volonté de maintenir et même de renforcer les communautés locales est clamée haut et fort par tous les élus, le projet de développement d’Elephant and Castle va tranquillement, mais sûrement, vers l’explosion de ces mêmes communautés et l’exclusion d’une partie de sa population.
Ce n’est pas le simulacre de participation qui risque d’y changer grand-chose. Après l’abandon par les autorités d’un précédent projet, en 2000, sous prétexte d’obstacles multiples et insurmontables - en réalité parce que les résidents avaient réussi à être impliqués dans toutes les phases d’élaboration au point de détenir un droit de vote lors des décisions importantes -, le Borough prend bien garde à ce que cette intolérable intrusion de la population locale ne se reproduise pas. Mais les représentants citoyens continuent de se débattre dans la jungle des mécanismes de participation et des documents officiels et officieux. Ils gardent espoir de faire entendre leur voix. Quitte, le cas échéant, à faire capoter le projet ...